La législation française actuelle ne permet pas de protéger efficacement l’arbre hors forêt, et ce en tant qu’être vivant. Certains articles de loi peuvent même aller jusqu’à lui porter préjudice. L’exemple le plus flagrant est présent dans l’article 673 du Code civil. La version actuelle de cet article date de 1921 et n’a pas été modifiée depuis. Selon cet article, « celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper ». La propriété… Que peut l’arbre face au droit de propriété ?
L’arbre n’est pas défini par le droit. Il est classé par le droit. Il est classé dans la catégorie des biens : des biens immeubles lorsqu’il est enraciné, des biens meubles lorsqu’il est coupé ou arraché. L’arbre est ainsi soumis au droit de propriété consacré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en son article 17 : « le droit de propriété [est] un droit inviolable et sacré ». Si tel est le bon plaisir du propriétaire, les arbres peuvent donc être taillés, coupés, élagués, enlevés, abattus, arrachés…
Mais l’arbre n’est pas qu’un simple bien. C’est un bien d’intérêt général. Pourquoi ? Parce que c’est un allié de premier choix pour limiter les effets du changement climatique. Par le mécanisme de la photosynthèse, l’arbre absorbe le dioxyde de carbone et rejette de l’oxygène. Il permet de lutter contre les îlots de chaleur en ville, de lutter contre l’érosion des sols…
En ces temps où l’on ne parle que de réduction de l’émission de gaz à effet de serre, de limitation du réchauffement climatique, de protection de l’environnement, préserver les arbres est une nécessité. Au droit de nous y aider !
Avant toute chose, il importe de définir ce qu’est un arbre. Selon le dictionnaire, un arbre est « un végétal pouvant atteindre un âge et des dimensions considérables, dont la tige ligneuse se ramifie à partir d’une certaine hauteur du sol »1 . Un végétal, et donc un arbre, est un être vivant. Peut-on traiter un être vivant comme une simple chose ?
Les arbres, organismes vivants et donc fragiles, doivent faire face à toutes sortes d’agressions et de dégradations au quotidien pouvant porter gravement atteinte à leur intégrité. La pression foncière et l’urbanisation concourent à ces atteintes ; les arbres doivent bien souvent céder la place à des projets de construction, d’aménagement ou d’infrastructures.
Si en France, les forêts sont en expansion, avec une surface qui a doublé depuis le XIXème siècle, la quantité d’arbres hors forêt, elle, diminue. « La régression des haies et des arbres épars s’est opérée en même temps que celle des prairies naturelles dont les surfaces ont reculé de quatre millions quatre d’hectares entre 1970 et 1999, essentiellement sous l’effet des remembrements fonciers (quinze millions d’hectares remembrés depuis 1945) »2 . Les arbres hors forêt sont des arbres isolés, d’alignement ou épars. Ils se situent en milieu rural, périurbain ou urbain sur l’espace public ou privé. Ils prennent part à la composition des allées ou avenues, des parcs, des jardins, des bosquets ou des bandes boisées. Ce sont des éléments essentiels de notre patrimoine naturel et culturel. Un patrimoine fragile, car vivant, qu’il importe de protéger, non seulement pour les raisons évoquées précédemment mais aussi parce qu’il participe à notre identité. Les arbres hors forêt peuplent nos paysages et témoignent de diverses traditions.
À cette fin, en 2016, l’association ARBRES (Arbres remarquables : bilan, recherche, études et sauvegarde) et le CAUE 77 (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de Seine et Marne) ont constitué un groupe de travail « Amélioration de la législation arbres hors forêt ».
En 2019 eut lieu la trente-quatrième Arborencontre de Seine et Marne portant sur « la législation : un outil pour protéger les arbres ». Ce colloque marque le point de départ de l’étude réalisée par le groupe de travail.
Composé de quarante spécialistes (arboristes, enseignants chercheurs, juristes, architectes, urbanistes, architectes des bâtiments de France, notaire, inspecteurs des sites, gestionnaires de patrimoine arboré, paysagistes…), ce groupe a analysé une soixantaine d’articles de loi, répartis dans une dizaine de codes différents, se rapportant de près ou de loin aux arbres hors forêt. Cette analyse a révélé que la plupart des articles ne permettaient pas de protéger efficacement l’arbre hors forêt.
La législation existante gagnerait à être clarifiée et simplifiée. Le groupe de travail « Amélioration de la législation arbres hors forêt » propose que soient créés de véritables périmètres de protection autour des arbres, ainsi qu’un “référent-arbres”.
Ces périmètres de protection se déclinent en deux catégories : les AGAP (Arbres et groupes d’arbres protégés) et les AGAPIN (Arbres et groupes d’arbres protégés d’intérêt national). L’arbre pourra faire l’objet d’un AGAP s’il présente un intérêt local ou d’un AGAPIN s’il présente un intérêt national.
Les arbres labellisés « arbres remarquables » par l’association ARBRES pourront, par exemple, bénéficier du périmètre de protection de l’AGAPIN.
L’intérêt de ces périmètres est qu’ils sont tant aériens que souterrains. Il est important en effet de préserver le système racinaire trop souvent mis à mal, notamment en ville, par la réalisation des travaux, ouvrages ou aménagements.
Toute intervention dans ces périmètres serait alors soumise à autorisation préalable. Si l’abattage est déjà soumis à autorisation dans le cadre des Espaces boisés classés (EBC), tel n’est pas le cas de l’élagage. Or, de nombreux élagages ne sont pas effectués dans les règles de l’art, mettant ainsi en péril la pérennité de l’arbre. Tant l’élagage que l’abattage seraient ainsi soumis à autorisation préalable, mais également toute intervention risquant de porter atteinte au système racinaire de l’arbre.
Par qui serait délivrée cette autorisation préalable ? L’autorisation d’intervention dans le périmètre de protection de l’AGAP ou AGAPIN pourra être donnée par le “référent-arbres”. Les contours de ce nouveau statut doivent encore être précisés car il s’agit là de quelque chose de complètement nouveau.
Le “référent-arbres” pourrait être un élu, aidé d’un professionnel disposant de compétences botaniques, en charge de différentes missions telles que :
- conseil en gestion des arbres auprès des collectivités et particuliers
- médiation en cas de litiges (troubles du voisinage)
- arbitrage en cas d’échec de la médiation
- instruction des autorisations d’abattage
Ces missions pourraient être exercées à l’échelle de la commune ou d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI).
L’action d’amélioration de la législation arbres hors forêt est soutenue par de nombreux organismes professionnels du paysage et de l’arbre, des chambres de notaires, des villes, des associations environnementales et des personnalités du monde scientifique et culturel.
Le 26 janvier 2020, Madame Aude Luquet, députée de la première circonscription de Seine-et-Marne, a posé une « question orale sans débat » sur la protection des arbres hors forêts à l’Assemblée nationale. Mme Luquet souhaitait connaître les ambitions du ministère de la Transition écologique en la matière. Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État à la Biodiversité a alors répondu que, s’il existait différents dispositifs de protection, ceux-ci ne permettaient qu’une protection diffuse de l’arbre hors-forêt. La secrétaire d’État a enfin ajouté qu’il importait de « renforcer la culture collective de gestion de la nature en ville »3 .
Depuis mi-juillet 2020, Madame Aude Luquet, députée de la première circonscription de Seine-et-Marne et membre de la commission de développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, porte l’action d’amélioration de la législation arbres hors forêt au niveau politique.
Le 25 mai 2021, la secrétaire d’État à la Biodiversité, Mme Bérangère Abba, a rencontré en préfecture de Melun le CAUE 77 et l’Association ARBRES afin d’échanger sur la question de la protection des arbres hors forêt. Il a alors été annoncé la mise en place d’un groupe de travail en partenariat avec le ministère de la Transition écologique, afin de formuler des propositions à partir du travail déjà réalisé.
Le 1er décembre 2021, ce groupe de travail national s’est réuni afin de préparer les amendements au projet de loi « relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale ». L’objet de ces amendements est notamment de proposer un décret d’application à l’article L350-3 du Code de l’environnement permettant de protéger efficacement les alignements d’arbres.
Le groupe de travail national rassemble différents acteurs :
- des membres du ministère de la Transition écologique : Bérangère Abba, Pierre-Edouard Guillain (conseiller de Bérangère Abba écosystèmes terrestres chasse et forêt),
- des élus : Aude Luquet et Annie Chapelier (députée du Gard) accompagnées de leurs attachés parlementaires,
- des experts : Arnaud de Lajarte (maître de conférences à l’Université d’Angers), Michel Greuzat (Ordre des géomètres),
- des gestionnaires : Frédéric Ségur et Romaric Perocheau (administrateur de Hortis), ENEDIS, SNCF Réseau,
- des arboristes : Vincent Jeanne (président de la Société Française de l’Arboriculture) et Loïc Goubrein (président du cercle de qualité des arboristes grimpeurs Séquoia), - des représentants d’associations : Chantal Pradines (Allées et Avenues), Thomas Brail (Groupe national de surveillance des arbres), Yves Verilhac (Ligue pour la protection des oiseaux), Grégorie Dutertre et Augustin Bonnardot (CAUE 77)…
Une prochaine réunion devrait intervenir courant janvier.
Pour plus d’informations : https://www.arbrecaue77.fr/